Octobre Rose

 

Quand on croise les questions de féminisme et de santé, on s’aperçoit vite que chez les progressistes comme chez les réactionnaires, il semble difficile de penser les femmes comme des personnes capables de réfléchir, d’agir et d’avoir la maîtrise de leur corps.

Nous avons pu lire ces dernières semaines des accusations plus ou moins voilées à l’égard des pratiques de soin dites alternatives, souvent assimilées à un retour rétrograde “ à la nature”, ou à recul obscurantiste. Souhaiter une contraception non-hormonale, reprendre de l’autonomie sur la pratique de l’IVG, chercher à soulager des douleurs de règles : tout cela ferait de nous des mauvaises féministes insultant Simone Veil ou encore des imbéciles sous la coupe des fake med. Il est difficile de savoir si ces accusations sont le fait de l’ignorance ou de la mauvaise foi. Il est particulièrement insupportable qu’on exige des patientEs qu’elles fassent de l’evidence-based medicine (médecine fondée sur la preuve) quand les institutions médicales françaises (les universités et l’INCa par exemple) la respectent si peu. S’il est évident que la consommation de soin comme de médicaments mérite d’être questionnée, on ne peut le faire sans la resituer dans le contexte plus général des pratiques de prescription comme du fonctionnement capitaliste de l’industrie pharmaceutique.

Le dépistage du cancer du sein illustre bien ce paradoxe, qui ressemble fort à un piège tendu aux patientEs : imprudentEs si elles ne font pas de dépistage, imbéciles si elles suivent les campagnes de communication. Quelques éléments pour alimenter vos réflexions et vous aider à défendre votre choix en tant que patientEs, quel qu’il soit :

  • Le dépistage systématique par mammographie proposé aux femmes de plus de 50 ans ne permet pas de réduire la mortalité par cancer du sein et il provoque des sur-diagnostics et des sur-traitements.
  • La glamourisation et le sexisme des illustrations nous fait grincer des dents et nous interroge : le cancer ne toucherait-il que des femmes jeunes, belles, blanches, hétérosexuelles, féminines et souriantes ?
  • On a parfois du mal à comprendre le bénéfice des multiples événements et campagnes de communication au cours du mois d’octobre. Vous saviez que c’est même de là que vient le terme de pinkwashing ?

Du coup, faut-il ou ne faut-il pas se (faire) palper les seins ? Déjà, il faut bien admettre qu’on ne nous donne pas vraiment le choix. Il est difficile d’échapper à la palpation des seins lors d’une consultation gynécologique et on est déjà bien contentEs quand le ou la soignantE ne nous demande pas d’enlever “le haut et le bas” en même temps. Pourtant il semblerait que la palpation comme l’autopalpation n’aient pas encore fait la preuve de leur intérêt pour le dépistage du cancer. Dommage pour les tutoriels sympathiques ?

Si la conclusion la plus evidence based-medecine serait : pas de dépistage en l’absence de “changements anormaux”, c’est oublier un peu vite qu’en matière de corps et de santé, la question de la normalité n’est pas anodine. C’est un réel enjeu féministe.
En tant que patientEs nous ne sommes pas habituéEs à pouvoir prendre conscience, déterminer et formuler “ce qui ne va pas” dans notre corps. Au contraire, nos expériences corporelles, que ce soit dans la santé, la sexualité ou la vie quotidienne, s’enracinent dans tout un système de mise en doute de nos perceptions et d’invisibilisation de nos sensations (“c’est dans la tête”, “mais non ça ne fait pas mal”, “il faut souffrir pour être belle”…). Encore davantage quand il s’agit de nos seins ou de nos vulves qui sont là, on l’a bien compris, pour le regard et le bénéfice des hommes ou des enfants qu’on est censéEs mettre au monde. Ainsi, parler de santé des seins sans prendre en compte le mécanisme d’hypersexualisation et de mise à distance (être torse nu pour une femme, ou allaiter est impudique, voire illégal) dans lequel les patientEs  sont prisEs revient à les soumettre à des injonctions contradictoires et contre-productives.

Difficile donc, en tant que patientEs, de déterminer ce qui relève du normal ou de l’anormal, sans un vrai travail d’apprentissage et de réappropriation de son corps. Dans une société qui nous apprend que nos corps sont difformes, sales, pathologiques, apprendre et comprendre quand “ça ne va pas” demande du temps, de l’échange et une vraie pratique. Pour nous, c’est en cela que l’auto-santé est utile et que l’autopalpation prend son tout sens : toucher sa poitrine, l’observer, l’apprécier et y prendre même du plaisir sont autant de gestes qui nous rendent capables de détecter des changements de texture ou de forme. C’est avant tout une manière de se connaître et de prendre soin de soi. C’est aussi un moyen de se rendre autonome et capable de répondre à la question “y a-t-il eu un changement dernièrement ?” quand unE soignantE nous la pose. Ce n’est ni une pratique de défiance face la médecine, ni une démarche de diagnostic, c’est une routine simple, au même titre qu’observer ses pertes vaginales ou l’état de ses dents, proche du self care.

Quand on parle de santé, il vaut donc mieux se garder de réduire la question à des chiffres, des conclusions épidémiologiques ou de santé publique. Ce n’est pas la seule manière de comprendre le soin et nous avons encore beaucoup à apprendre de pratiques féministes, pourtant vieilles de plusieurs décennies.

Salomé (retrouvez-la sur twitter) & Cluny