Attendre d’attendre un enfant

« Il faut que tu ailles voir l’apothicaire. Il y a des herbes que tu peux prendre pour t’aider. Si je ne suis pas enceinte bientôt, les gens vont commencer à croire qu’il y a quelque chose qui cloche chez moi’, dit Amma. Il s’en voulut. C’était vrai. Ne pas concevoir était toujours considéré comme la faute de la femme, un châtiment pour infidélité ou mauvaise conduite.
— Yaa Gyasi, No home, 2016.

attendre d'attendre un enfant

Depuis quelque temps et après avoir concentré ses efforts sur les questions de contraception et d’avortement, le féminisme s’empare progressivement du sujet de la maternité. On reconnaît enfin que oui, on peut être féministe et vouloir un enfant, et qu’on peut même ne pas être hétéro et vouloir un enfant. Des injonctions pendant la grossesse aux violences exercées par les soignant.e.s pendant l’accouchement, de la PMA à l’adoption, de qui autorise-t-on à devenir parents à comment être un bon parent, la liste des questions à traiter est large et complexe, mais ce n’est pas ce à quoi nous allons nous attaquer aujourd’hui.

Dans cette newsletter, je voudrais parler des femmes qui veulent un enfant mais pour qui ça ne fonctionne pas – parfois pendant quelques mois, parfois pendant plusieurs longues années. Je suis moi-même dans cette situation depuis plus d’un an et, au fur et à mesure que je cherchais des informations sur le sujet, j’ai été frappée par le manque de ressources féministes sur le sujet. Le problème, c’est que nous n’existons pas : pas encore enceintes mais plus tout à fait nullipares une fois que le processus est enclenché, nous nous retrouvons coincées dans le vestibule du monde merveilleux de la grossesse, sans avoir la possibilité d’y entrer mais sans pouvoir non plus faire demi-tour. Nous n’avons ni un statut, ni l’autre, et la société nous fait bien comprendre que nous ferions mieux de rester discrètes là-dessus et de ravaler nos larmes jusqu’à temps que nous puissions faire le bonheur d’une annonce surprise à nos proches. Il ne faudrait surtout pas que quelqu’un puisse se douter que nous sommes en train de souffrir. Et si, pour une raison ou pour une autre, nous décidons d’en parler, nous devons en général faire face à une avalanche de conseils non sollicités et/ou de regards apitoyés. Inutile de vous dire que dans tous les cas, c’est nous qui sommes coupables de nos échecs répétés : trop pressées, trop concernées, trop stressées, pas assez insouciantes (« Ça viendra quand tu n’y penseras plus »)… Et on finit par croire qu’en effet, notre corps est incapable de la chose qui nous paraissait pourtant la plus simple de l’humanité jusqu’à maintenant et contre laquelle, ados, on nous avait tant mises en garde (avoir un bébé, oui, évidemment, mais ni trop tôt, ni trop tard). Alors, pour essayer de garder une illusion de contrôle sur une opération qu’on ne peut en réalité absolument pas maîtriser, on essaye tout : faire plus de sport, moins de sport, avoir une meilleure alimentation, aller chez l’ostéo, les plantes, la relaxation, arrêter l’alcool, baiser plus, baiser moins, baiser selon un planning, en parler, ne pas en parler, allumer des cierges… On se dit qu’on finira bien par venir à bout de cette faiblesse physique ou de ce fameux blocage psychologique qui nous empêche de concevoir. Pendant ce temps, notre partenaire, quand il s’agit d’un homme cis, n’est absolument jamais remis en cause. Nous sommes seules.

Je voudrais dédier cette newsletter à toutes les femmes qui, comme moi, attendent, car je sais que cette attente n’est en rien passive et ce qu’elle comporte de travail, de souffrance, de tristesse et d’interrogations auxquelles les soignant.e.s ne répondent pas toujours avec beaucoup de bienveillance. J’espère que les ressources réunies ici pourront vous aider et vous rassurer. J’adresse une pensée particulière aux deux personnes qui ont eu le courage de m’envoyer leurs témoignages, ainsi qu’à G., autrice du journal de grossesse dont des extraits ont été publiés dans le premier numéro du fanzine Hors-Je(u) (accessible en pdf ici, p. 40), qui m’a inspiré le titre de cette newsletter et dont le texte a été la première – et presque la seule – ressource féministe sur laquelle je suis tombée lors de ces longs mois. Je ne saurais dire combien je lui dois. Quant à moi, si le sujet vous intéresse, je continuerai à poster sur le sujet sous le tag #maternités de mon blog.