L’accès à l’avortement reste inégal

Si le droit à l’IVG est inscrit dans la loi depuis plus de 40 ans, il fait pourtant l’objet de constantes et insidieuses remises en question qui le font doucement vaciller si l’on n’y prête pas garde. On le sait, l’extrême-droite catholique française rassemblée par La Manif Pour Tous, et fédérée notamment autour des Survivants (ceci n’est pas une blague), est très active sur internet, là où justement la majorité des femmes s’informent sur la démarche. Ces groupes disposent de beaucoup de moyens, suffisamment en tous cas pour racheter tous les noms de domaines liés à l’IVG et être en tête des recherches Google. En mars dernier, le projet de loi permettant d’attaquer les sites anti-IVG pour “délit d’entrave” a été adopté par le Parlement (au grand dam des Républicains, qui s’y sont fortement opposés). Avant cela, il aura fallu attendre 2001 pour que la mention“grossesse qui place la femme dans une situation de détresse” soit remplacée par “[IVG] autorisée pour la femme qui ne veut pas poursuivre sa grossesse”. Un point statistique pour montrer que ce droit fondamental n’est pas franchement un acquis et même qu’il recule, dans les têtes comme dans les faits.

Avortées, combien de divisions ?

En 2015, 218 100 IVG ont été pratiquées en France, dont 93% en métropole. Ce nombre est stable depuis 1975 : environ 40% des femmes ont avorté ou avorteront au cours de leur vie (certaines ne le feront jamais et d’autres y auront recours plusieurs fois). C’est une bonne nouvelle : le nombre de grossesses non désirées a beaucoup baissé depuis l’accès généralisé des femmes à la contraception (elles ne représentent aujourd’hui qu’un tiers des grossesses contre la moitié en 1975). Par ailleurs, les femmes hésitent moins à avoir recours à une IVG lors de la survenue de ces grossesses non souhaitées : 60% de ces grossesses sont interrompues par un avortement, contre 45% il y a 40 ans.

Ce sont les 20-24 ans qui sont le plus concernées : 27 femmes de cette tranche d’âge sur 1000 y auront recours dans l’année. Les plus jeunes, de moins de 20 ans, y ont aussi recours davantage que les autres groupes d’âge, avec des différences assez notables selon leur origine géographique. Ainsi, 12 jeunes femmes de moins de 20 ans sur 1000 ont avorté en 2015… contre 26 pour 1000 dans les DOM, où le recours des très jeunes femmes à l’avortement est le plus fréquent. En métropole, ce sont les femmes nées à l’étranger qui y ont le plus souvent recours (parmi elles, 37% sont originaires d’Afrique subsaharienne, 21% du Maghreb, 21% d’Europe, 7% d’Asie). Les jeunes femmes qui avortent sont moins souvent en situation d’études que les autres, à âge équivalent.

Parmi les avortées, seules 20% y auront recours plus de 3 fois dans leur vie reproductive. Elles sont davantage en difficulté sociale et économique que les autres patientes. Le recours à l’IVG concerne toutes les catégories sociales. Au moment de la grossesse, 72% des femmes utilisaient une méthode contraceptive, pilule et préservatif pour la plupart. On rappellera utilement que la contraception reste une responsabilité quasi-exclusive des femmes (allez savoir pourquoi) et que le recours à la pilule du lendemain reste rare, tout comme les informations permettant d’y accéder.

Un droit – et surtout un accès concret à l’avortement – menacé

On le comprend : il y a de gros besoins en la matière en France. Pour autant, l’accès effectif à l’avortement n’est pas aujourd’hui assuré tel qu’il le devrait.

  • 130 centres, soit 5% des établissements publics et 48% des services privés, ont fermé entre 2001 et 2011. Cette réduction de l’offre entraîne une saturation des établissements, et donc allonge le délai de recours.
  • En 2011, la Haute Autorité de Santé recommandait que les femmes souhaitant avorter soit reçues maximum sous 5 jours après leur appel, or le HCE constate que seul le quart étaient effectivement pris en charge sous ce délai.
  • La “clause de conscience” dont les soignant.e.s disposent allonge les délais de recours : d’une part, cela contraint les femmes à reprendre un rendez-vous, s’exposant à un possible autre refus ; d’autre part, le Haut Conseil évoque les soignant.e.s qui refusent de délivrer l’attestation de première consultation et/ou qui ne réorientent pas les patientes vers des centres IVG, comme la loi le prévoit.
  • Parmi les médecins conventionné.e.s pour pratiquer l’IVG médicamenteuse, 25% n’ont jamais pratiqué d’avortement.
  • En 2012, plus de 2000 femmes n’ont pu accéder à l’IVG dans leur centre de santé régional et ont dû se rendre ailleurs, allongeant d’autant le délai de recours, accentuant les freins économiques (coût du transport, de l’hébergement…).
  • Dans 5 départements en France (Corse, Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte), selon les sources publiques, aucun établissement de santé n’est présent sur le territoire pour assurer les IVG dites tardives, c’est-à-dire entre 10 et 12 semaines de grossesse (or, on l’a vu, le nombre de très jeunes femmes ayant recours à l’IVG y est élevé). Une autre enquête, en 2009, assure que 40 des 56 établissements interrogés ne pratiquaient pas d’IVG au delà de 10 semaines. C’est 71% de l’ensemble des établissements enquêtés.
  • L’IVG n’est pas un acte médical valorisé. Passage obligé pour beaucoup de soignant.e.s, il est le plus souvent, « selon la DREES, pratiqué par des internes, moins formés, ayant peu d’expérience […] et est souvent vécu comme une contrainte […] des médecins vacataires », ce qui, on peut l’imaginer, complique l’acte pour les femmes.

Des luttes d’actualité

On pourrait continuer encore, tant la liste des preuves du recul de ce droit, sur tous les fronts, est évidente. L’accès effectif, facile, gratuit de toutes les femmes à l’IVG, sur l’ensemble du territoire, doit être un enjeu central de nos luttes. Pour que cessent la stigmatisation, la médicalisation excessive, la violence physique et symbolique exercée sur celles qui décident de mettre fin volontairement à une grossesse, pour que l’on puisse enfin “être fières de faire des choix autonomes, [pour que] le droit d’avorter soit reconnu en France et ailleurs comme un droit respectueux des femmes et de leur dignité.«