Aujourd’hui je suis très heureuse d’accueillir Audrey et Stella pour parler de leur projet « Les Rendez-vous SexCare », une initiative par et pour les femmes noires sur la sexualité.

Est-ce que vous pouvez vous présenter et expliquer votre démarche ?

Nous avons décidé de créer des rendez-vous où des femmes pourraient se rencontrer, partager et se former sur leurs sexualités. De par notre propre vécu de femmes et nos formations professionnelles, démocratiser des espaces de réflexions sur la sexualité nous a paru urgent.

Le concept est simple : un groupe de 10 femmes qui se retrouve une fois par mois pour se former sur un sujet lié à la sexualité. Des thèmes pour chaque rendez-vous sont prédéfinis. Par exemple, le premier thème traitait du corps et s’intitulait « Je BodyPositive, j’écoute mon corps ».

En ce qui concerne nos parcours, Audrey est de formation juridique, elle est militante afroféministe et elle tient un blog, Badassmaman, qui traite de toutes les problématiques liées à sa condition de femme noire, de mère et de féministe. C’est un blog dans lequel elle partage son vécu et son expérience. Stella est psychologue, sexologue et exerce en libéral. Un de ses focus comprend la santé mentale des personnes racisées.

Ce qui fait que Les Rendez-vous SexCare sont un concept innovant, c’est qu’ils répondent directement à une demande d’espace et de rencontre avec l’Autre hors des réseaux sociaux. Les femmes y sont considérées comme des expertes de leurs vies – ce qui ne nous empêche pas d’inviter autour de la table des femmes professionnelles et actives dans ce domaine.

L’actualité a été particulièrement chargée en matière de dénonciation des violences sexuelles ces derniers mois. Comment est-ce que votre projet s’inscrit dans cette atmosphère ?

Les violences quelles qu’elles soient sont au cœur des Rendez-vous. Nous les abordons via la question du consentement notamment. Un temps spécifique est prévu pour poser la questions des violences sexuelles par le prisme des droits sexuels – droits sexuels que nous défendons fermement comme étant la liberté de toute personne à choisir ses pratiques et conduites sexuelles, ce dans un environnement sans discrimination, violences, coercition ou abus, et dans le respect des droits d’autrui.

Ainsi, un des objectifs des Rendez-vous SexCare est de vulgariser toutes les ressources nécessaires concernant ces droits sexuels, les recours à la justice, la réparation ou les prises en charge psychologiques (même tardives) en cas de violences.

Vous précisez que les ateliers, ouverts à toutes, sont pensés en fonction des besoins des femmes noires. Est-ce que vous pouvez nous expliquer de quelle façon le racisme influence leur santé et leur sexualité ?

Les ateliers sont effectivement pensés par des femmes noires en fonction des besoins des femmes racisées. Un de ces besoins était d’avoir un espace dédié à la réflexion autour des sexualités. La communication et les contenus sont ainsi pensés en fonction de leurs besoins et les ateliers restent ouverts à toutes les autres femmes à l’aise avec ce principe.

Que ce soit via les réseaux sociaux ou via les personnes que nous avons rencontrées dans le cadre d’une prise en charge psychologique, nous entendions des plaintes. La plainte que d’autres personnes ou que la société les définissent en tant que personnes ou objets sexuels sans leur consentement. Les femmes se plaignent notamment de ceci :
– une exotisation de leurs corps et de leurs esprits, comme un regard colonial ;
– des infractions dans leur développement causées par une sexualisation précoce. Une patiente nous raconte qu’à 13 ans, un homme lui aurait dit : « Tu as des lèvres qui donnent envie de te faire des choses » ;
– un irrespect de leur consentement ;
– un enfermement de leur sexualité dans des pratiques sexuelles bestiales, animales ;
– un manque cruel d’estime d’elles-mêmes dans la rencontre amoureuse qui pourrait s’expliquer par la représentation des femmes noires dans les médias, au cinéma, dans la manière dont est comptée l’histoire, mais aussi par le vécu des premières amours où un “je ne peux pas t’aimer parce que tu es noire” va venir briser cette estime de soi.

En tant que femmes noires, nous nous situons dans une intersectionnalité qui peut nous placer au carrefour du racisme et du sexisme dans bien des domaines ; la santé n’y échappe pas. C’est un domaine dans lequel les femmes vont être racisées, c’est-à-dire qu’elles vont être catégorisées par le corps médical (notamment) en fonction de représentations basées sur la race. Ces représentations sont très souvent partielles, enfermantes, négatives ou fantasmatiques. C’est pourquoi les femmes racisées peuvent être confrontées à des vécus négatifs tout au long de leur parcours de santé. Hélas, ce sont des expériences qui peuvent rester dans le silence le plus complet le temps d’une vie :
– la non prise en compte de leur souffrance (car elles seraient considérées plus robustes, plus fortes) ;
– l’infantilisation, par exemple dans le domaine de la santé reproductive ;
– la moindre qualité des soins, plus spécifiquement lorsqu’elles vivent dans la précarité, que celle-ci soit économique, sociale, psychologique ou culturelle.

Nos ateliers doivent permettent à ces femmes de s’interroger, de définir les situations qui leur posent problème et nous l’espérons, de trouver des solutions pour vivre leurs sexualités et leur santé intime de manière positive.

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