Les règles de l’art

On a tou.te.s une façon différente de vivre nos règles. Qu’on déploie des trésors de précautions pour planquer un tampon dans notre poche avant d’aller aux toilettes au boulot ou qu’on dise ouvertement à nos collègues de nous lâcher la grappe car on est en SPM, le sujet reste tabou et souvent un peu honteux. C’est contre ces clichés que les quatre artistes que nous avons sélectionnées pour cette newsletter ont choisi de s’élever en utilisant ou en montrant du sang menstruel dans leur travail, ou, de façon plus large, en essayant de redonner leur juste place aux femmes dans l’histoire de l’art.

Zanele Muholi

Zanele Muholi, Isilumo Siyaluma

Je vais être honnête, ce n’est pas pour ses mandalas sanguins que j’aime le plus Zanele Muholi, mais plutôt pour ses autoportraits incroyables (Somnyama Ngonyama: Hail the Dark Lioness). C’est une artiste sud-africaine lesbienne et tous les mots comptent car pour elle, la photographie est un activisme. Elle explique son projet Isilumo Siyaluma bien mieux que je ne pourrais le résumer en une ligne maladroite dans cette courte vidéo !

— Cluny

judy chicago

Judy Chicago, The Dinner Party

The Dinner Party est une installation artistique de l’artiste américaine Judy Chicago, réalisée entre 1974 et 1979. On peut la voir aujourd’hui au Brooklyn Museum de New York, où elle occupe toute une pièce. Composée de 39 tables disposées en un triangle équilatéral, elle retrace une histoire des femmes, chaque figure historique — on retrouve aussi bien des femmes de l’Antiquité et de la mythologie, comme Kali ou Sappho, que des féministes et des artistes contemporaines, comme Virginia Woolf et Georgia O’Keefe — étant représentée par une table, un chemin de table brodé et une assiette en porcelaine personnalisée, parfois accompagnée d’autres ustensiles (voir le détail des éléments sur le site du musée). Beaucoup d’assiettes représentent un papillon ou une fleur en relief, évoquant la forme d’une vulve. L’ensemble repose sur un socle appelé « plancher du patrimoine » (Heritage Floor), composé de 2300 plaquettes de porcelaine sur lesquelles figurent les noms de 999 femmes mythologiques et historiques.

Avec cette œuvre, l’objectif avoué de Judy Chicago était de « mettre fin au cycle continuel d’omissions par lequel les femmes sont absentes des archives de l’Histoire ». Si son importance artistique ne fait aujourd’hui aucun doute, elle a tout de même reçu des réactions mitigées, certaines critiques l’accusant d’essentialisation — à cause du fait qu’elle avait réduit un certain nombre de figures à leur sexe —, d’autres reprochant à Chicago d’avoir ironiquement profité de femmes bénévoles (brodeuses, peintres sur porcelaine…) pour la réalisation de l’installation.

Voir la visite de l’installation commentée par l’artiste sur YouTube

— Britney

deborah de robertis

Déborah de Robertis, Mémoires de l’Origine

Déborah de Robertis est une artiste et performeuse féministe. En 2014, elle pose devant L’Origine du Monde, le tableau de Courbet exposé au musée d’Orsay, robe relevée, jambes écartées et expose sa vulve. Ce n’est pas la première ni la dernière fois, car depuis la fin de ses études d’art, elle travaille sur la nudité féminine et sa représentation dans l’histoire de l’art. Déborah de Robertis s’interpose dans l’espace qui faisait le confort du spectateur et isolait la femme modèle.

Ses performances obligent le public à se demander pourquoi sa présence dérange : est-ce le choc de la nudité « réelle » et dans ce cas, quelle est la nature de ce qui est montré dans la peinture (ou la photographie) ? Ou encore, est-ce le fait que ce soit une femme qui affirme son « agency » et dénonce par sa simple prise de corps (comme une prise de parole) le contrôle maintenu par les artistes hommes sur la représentation du corps féminin ? Avec son travail, Déborah de Robertis nous rappelle les circonstances matérielles de création de ces œuvres, (puis de réception) : le corps d’une femme sur lequel le regard d’un artiste s’appesantit, et déconstruit le statut iconique de ces représentations et du corps féminin en général.

Voir ses productions visuelles sur Vimeo

— Alyx

arvida bystrom

Arvida Byström, There Will Be Blood

Dans cette série de photos réalisée en 2012 (à voir en intégralité sur le site de Vice), l’artiste suédoise Arvida Byström nous montre des jeunes femmes dans des situations de tous les jours — en train de lire, de faire du sport ou d’attendre le bus —, à un détail près. Oui, vous l’avez bien vu : du sang tâche leurs vêtements ou coule le long de leurs cuisses. Aucun doute : elles ont leurs règles.

Dénonçant ainsi le tabou qui voudrait que les menstruations soient sales, honteuses, et doivent rester cachées, la photographe les révèle telles qu’elles sont : un événement plutôt banal et qui fait partie du quotidien de beaucoup de personnes sur cette planète.

Arvida Byström, très active sur Instagram, a également défrayé la chronique (enfin lisez plutôt : « elle a subi du harcèlement ») il y a quelques mois en posant pour Adidas sans s’être épilé les jambes. En effet, on est hyper choquées (non).

— Britney

annie wong

La sélection de Twitter

J’avais proposé sur Twitter que vous partagiez des œuvres que vous aimiez pour en retenir une et la présenter ici mais évidemment, je n’ai pas eu le cœur à choisir ! Merci à Mendiko, Jungle_Ju, Ju7ie et Madame_Blue_. Elles m’ont parlé des petites vulves modelées en chewing gum d’Hannah Wilke, du kayak de Megumi Igarashi, des gifs mignons d’Annie Wong et des photographies de Zoe Buckman sur les consultations gynécologiques.

— Cluny