En France l’avortement a été dépénalisé en 1975 par la loi portée par Simone Veil. Il est pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale depuis 1982, et depuis 2001 le délai légal pour le pratiquer court jusqu’à la 12e semaine de grossesse (parfois on parle aussi de 14 semaines d’aménorrhée). Pourtant, comme l’avait démontré Roxanel’année dernière dans la newsletter, l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) reste inégalitaire. Ainsi l’existence de la législation permettant l’acte d’avortement ne garantit pas nécessairement le droit à l’IVG de toutes les femmes et personnes concernées par la grossesse (manque de médecins pratiquant l’IVG, délai, barrière économique, notamment).
À cet égard, les FrançaisEs qui ont dépassé le délai légal se retrouvent dans des situations très délicates. Le planning familial organise des voyages à l’étranger pour avorter dans des pays avec une législation plus souple mais le coût du voyage et de l’intervention rend souvent l’avortement impossible et alimente les discriminations envers les populations les plus précaires. Une conférence de la FIAPAC (Fédération Internationale des Associés Professionnels de l’Avortement et de la Contraception), relayée sur les réseaux sociaux, offrait une perspective inédite pour moi : “Do we need abortion laws?« . En effet, au Québec notamment, l’avortement n’est pas encadré par une loi spécifique. C’est-à-dire que les personnes accèdent à ce soin comme aux autres, sans que la question du délai se pose. Ici c’est donc l’absence de loi qui garantit l’accès à l’IVG. À l’inverse, en Irlande, les militantes féministes se sont battues pour la légalisation et l’instauration d’une nouvelle législation encadrant les IVG. En Argentine, un bras de fer violent est ouvert avec l’État et l’Église catholique pour la promulgation d’une loi légalisant l’avortement.
En Europe et ailleurs, l’accès à l’IVG varie : inexistant, menacé ou précaire, les femmes s’organisent. Toujours à l’occasion de la FIAPAC, j’ai découvert l’existence d’associations de militantes féministes qui œuvrent à mettre à disposition de toutes celles et ceux qui le souhaitent l’avortement par médicaments. Aux États-Unis, en Pologne ou en Argentine, la lutte pour l’IVG ne se résume pas à une bataille législative mais passe bel et bien par l’organisation autonome des femmes pour recourir à l’avortement. Le projet SASS (Self Managed Abortion; Safe and Supported) est un service offert par Women Help Women, une organisation américaine. Sur le site, les personnes offrent un ensemble de ressources concernant la contraception et l’IVG par médicaments. Elles proposent aussi de courts entretiens en différentes langues pour mieux guider les personnes et ont mis en place un service d’envoi de pilules abortives et contraceptives aux USA et dans certains pays sur le continent américain. En Argentine, sur le site des Soccoristas en red (feministas que abortamos), on retrouve un contenu similaire. Protocole de prise de la pilule abortive, signes à surveiller, les informations sont précises et fiables. L’“abortion dream team” en Pologne tente de déstigmatiser l’avortement, en multipliant les interventions publiques pour susciter la conversation. La dream team vient également en aide aux personnes voulant recourir à l’IVG en dispensant des informations sur le protocole de prise des comprimés mais aussi pour permettre la réception desdits comprimés, souvent commandés à l’étranger et bloqués à la douane. Women on Web, basée aux Pays-Bas, propose le même type de service : information, consultation, envoi des comprimés.
La pratique d’IVG illégales ou bien dans un contexte où l’accès à l’IVG est restreint permet de répondre aux besoins sanitaires des femmes. Elle est aussi une stratégie politique qui contraint la législation d’un pays à s’adapter. L’histoire française le montre bien, même si elle est peu racontée. Dans son article sur la méthode Karman, Béatrice Kammerer explique comment la pratique militante d’avortement sans risques à partir de 1972 a contribué à la dépénalisation de l’IVG.
Quel que soit l’état de la loi, il me semble que c’est bien l’autonomie des femmes* qui doit rester l’objectif principal de nos luttes.