Marion Coville est chercheuse en sciences humaines et en sociologie, elle est atteinte d’endométriose et ça fait déjà plusieurs années qu’elle « travaille » autour des sujets des menstruations, du genre et des technologies. Dans une série d’articles publiée en septembre, elle développe une analyse riche et précise de la façon dont elle a vécu, découvert, observé sa maladie. Elle a accepté que j’en publie ici un extrait. Vous pouvez retrouver son texte en intégralité sur son carnet et en pdf.
« Face aux médecins, le travail des personnes atteintes d’endométriose consiste notamment à écarter les discours psychologiques et à valoriser les explications biomédicales afin de présenter leurs douleurs comme “somatiques” et non comme “psychologiques”. Et c’est exactement ce que j’ai fait. Prenant conscience du peu d’écoute que j’avais reçue jusqu’ici, j’ai décidé de nommer et de décrire, dans le style le plus clinique possible, ce que je ressentais.
Traduire un corps intime et subjectif
Pour matérialiser mes douleurs, j’ai écrit une liste. Il fallait que je parvienne à nommer les sensations, mais aussi les zones douloureuses. Or, c’est là la difficulté : à la douleur des règles s’ajoutent des douleurs précises ou diffuses, dans des zones du corps que j’étais bien souvent incapable d’identifier, ni même de corréler à l’endométriose. Pendant trois mois, je tiens le carnet de terrain de mon propre corps. Je consulte des sites web sur l’anatomie, j’essaye de comprendre comment ces organes prennent place dans mon corps, pour cibler au mieux les zones douloureuses. L’utérus, les ovaires, mais aussi la vessie, les intestins, l’estomac ou le diaphragme. Je relis en détail les sites et blogs sur l’endométriose et compare leurs descriptions avec les mots que j’ai choisis. Enfin, j’utilise aussi mes pratiques de recherche : ayant l’habitude de consulter des publications scientifiques pour mon doctorat, je fais de même pour l’endométriose. J’épluche des revues comme Women’s Health, Reproductive Sciences, ou Journal of Endometriosis and Pelvic Pain Disorders, à la recherche d’informations sur les protocoles de soin ou encore le rôle de l’alimentation ou de l’alcool dans les douleurs ressenties.
Ces observations prennent la forme d’une liste de sensations ressenties et de leurs conséquences. Par exemple, des crampes utérines pendant les règles, provoquant vomissements, étourdissements et sueurs froides. Des douleurs lombaires et sciatique. Des cystites à l’approche des règles. Des crampes utérines tout le temps, parce que je m’allonge, que je monte des escaliers, que je ris ou parce que ma vessie se vide. Des douleurs pelviennes dès que je marche ou que je m’assois. Ou encore une forte douleur sur l’ovaire droit, qui irradie dans la hanche et paralyse ma jambe. Au final, la liste noircit toute une feuille A4. Pour l’écrire, j’opère une traduction de mon expérience qui, au lieu d’évoquer la souffrance tant physique que psychique, se concentre sur des manifestations somatiques. »
Vous pouvez retrouver son texte en intégralité sur son carnet et en pdf.