Entretien avec Louise, qui organise des ateliers de self-help à Toulouse

Louise est sage-femme à Toulouse et anime depuis plusieurs mois des ateliers de self-help. J’étais très intéréssée par son point de vue, notamment sur sa façon de concilier son statut de soignante et son approche self-help.

Edit du 30/09/2019 : Depuis notre entretien, Louise a fait un coming-out trans, il se nomme désormais Lou et utilise des pronoms masculins.

Est-ce que tu peux te présenter, c’est-à-dire éventuellement évoquer ton parcours féministe et préciser depuis quel point de vue tu nous parles ?

J’ai grandi dans une famille de classe moyenne, mon père était en auto-entrepeneur dans le milieu du livre et de l’art, et ma mère était mère au foyer, dans une fratrie de deux, dans une maison dans un village à trente minutes de Toulouse. J’ai grandi dans un environnement où la norme était plutôt le féminisme essentialiste, même s’il n’était pas formulé comme tel, et ce discours a été perpétué ensuite dans les études de sage-femme qui ne prennent nullement en compte la question des oppressions systémiques et des violences de genre. Mon parcours féministe a été beaucoup influencé par mon amie d’enfance dont je suis très proche et qui, déjà au lycée, faisait partie de milieux militants, puis qui a fait une thèse en anthropologie, notamment sur les questions de genre et de violences médicales. Je suis rentrée dans le féminisme matérialiste durant mes études de sage-femme où ma pensée s’est  radicalisée, s’est construite en réaction aux violences banalisées dont j’étais témoin quotidiennement, et en faisant des ponts entre les différents rapports d’oppression qui entourent le métier de sage-femme.
D’où je me situe : je suis une femme cis, blanche, bisexuelle et non monogame.

Comment s’est passé ta formation de sage-femme, comment as-tu pu articuler tes convictions avec ton apprentissage ? Plus généralement, qu’as-tu perçu de la façon dont les soignant.e.s sont formé.e.s ?

Mes études de sage-femme ont été très dures à vivre, comme pour beaucoup de sages-femmes. Ce sont des études que je trouve très normatives sur la question des constructions genrées : on nous (ré)apprend à être dociles mais pas trop, intelligentes mais humbles, souriantes et polies, douces, calmes, compréhensives, avec une tenue propre, féminine mais pas trop, etc. Comme c’est relaté dans les différentes professions médicales, un certain nombre d’étudiantes sont victimes de harcèlement, de violences sexistes, d’humiliations. Se rajoute à cela le fait d’être témoin des violences gynéco-obstétricales. Ça a été très clivant psychiquement : j’étais témoin de ces violences, parfois « complice forcée », mais si je voulais avoir mon diplôme, je ne devais/pouvais rien dire..
Dans mes études, je n’ai eu aucun cours sur la bienveillance, la non-maltraitance, les questions de genre, d’orientation sexuelle, d’inclusivité, etc. C’était très dur d’articuler mes convictions avec mon apprentissage et en même temps c’est là que ma pensée féministe s’est le plus construite. Aujourd’hui j’essaye de faire bouger ces choses-là à mon échelle et nous sommes un certain nombre de sages-femmes à agir dans ce but, ou à avoir conscience des changements nécessaires.

Quel regard portes-tu aujourd’hui sur l’exercice d’une profession médicale, qu’est-ce que tu as mis en place ?

Quand j’ai fini mes études de sage-femme, j’ai choisi de ne pas exercer. Ma personnalité avait été complètement broyée par les études, et j’étais dégoûtée par la profession médicale. Je me suis dit que je n’exercerais ce métier que quand j’aurais trouvé le moyen de le faire sans avoir de pouvoir sur les personnes, dû à mon étiquette de soignante/sachante.
J’avais par ailleurs rencontré le self-help dans ma vie personnelle, et j’ai choisi de prendre cette piste comme approche professionnelle. J’ai le privilège d’avoir eu accès à un savoir en santé gynécologique, et pour moi c’est le fait même que ce savoir soit élitisé à des professions médicales qui contribue aux violences et aux rapports d’oppression en santé. J’ai alors choisi de mixer le self-help à ma pratique professionnelle, afin de contribuer à la réappropriation des savoirs en santé gynécologique par les personnes concernées.
Je me positionne alors comme facilitatrice, en partenariat avec la personne qui vient consulter, pour que nous prenions soin ensemble de sa santé. Je n’appelle pas les personnes patient.e.s, car je trouve ce mot trop chargé de passivité et il provoque en moi une approche dépersonnalisée du soin. Je préfère le mot agent.e par exemple (du terme agentivation, qui est la traduction de empowermentproposée par Judith Butler), ou simplement j’appelle les personnes par leur nom.
Je propose maintenant des consultations de suivi gynécologique, et je porte en moi constamment la conviction que la personne est la mieux placée pour savoir ce qui est bon pour elle, ce dont elle a besoin, qu’elle est libre de disposer de son corps comme elle le souhaite, et que nous formons une équipe avec une mise en commun de nos connaissances et savoirs respectifs.

Qu’est-ce que tu recherches en organisant des ateliers de self-help ? Comment se déroulent-ils ?

Ce que je trouve puissant et précieux dans les groupes de self-help, c’est la construction collective des savoirs et de faire rentrer la santé gynécologique dans le domaine du groupe. C’est comme si la force du groupe continuait à me porter dans le reste de ma vie, et cela me protège et me donne du pouvoir pour agir, sur les violences systémiques notamment. Ça me donne confiance en moi, j’ai la sensation que ma santé et mon bien-être sont importants, ça m’aide à me sentir plus légitime dans mes choix et mes limites… Ce que je trouve super important, c’est de construire la confiance que chaque personne est sachante de plein de choses, et qu’en mettant en commun nos expériences et connaissances, on peut construire un savoir collectif et subversif, qui soutient la liberté de choix, et ainsi nous pouvons disposer de nos corps en toute liberté.
J’ai choisi de proposer des ateliers de self-help afin de redistribuer ce savoir que j’ai eu le privilège de recevoir, d’en faciliter l’accès et de contribuer à la réappropriation de son corps. Mon rêve, c’est que mes ateliers contribuent à la création de plein de groupes de self-help auto-gérés par la suite !
Ce serait un peu long de décrire comment se déroulent les ateliers… Le contenu est détaillé sur la page facebook Self Help Toulouse, ou dans la newsletter que j’envoie chaque mois. Pour la recevoir, il suffit d’envoyer un mail à l’adresse selfhelptoulouse@riseup.net

Lectures / documentations / personnes à recommander sur le sujet de l’auto-santé ?

Il y a vraiment beaucoup de ressources, c’est un peu difficile de faire une liste exhaustive… Il y a les livres de Rina Nissim sur l’auto-santé gynécologique et les groupes de self-help que j’aime beaucoup (NDLR : Mammamélis et Une sorcière des temps modernes). Des brochures sont disponibles sur Infokiosque telles que S’armer jusqu’aux lèvres. Et plein d’autres sites et créations visuelles !
Et en personnes à recommander, je dirais toute personne qui a envie de construire du savoir collectif et du pouvoir d’agir sur soi-même 🙂