Nous sommes heureuses de vous présenter un entretien réalisé avec Patricia N’depo pour l’association Afrique Avenir, qui effectue un travail de terrain riche et important sur la santé communautaire. Elle œuvre depuis vingt-cinq ans à l’information, la sensibilisation et la prévention, notamment autour de la santé sexuelle et reproductive, des communautés afro-caribéennes en France : dépistage VIH/sida, prévention du cancer du sein et du col de l’utérus, plaidoyer pour faciliter l’accès à la PMA, actions en faveur de la santé des personnes LGBTQI+…
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Merci de nous accorder cette interview. Pour commencer, comment se déroule le parcours d’une procréation médicalement assistée (PMA), et plus particulièrement le parcours de fécondation in vitro (FIV) avec don d’ovocytes, pour une femme dyacis noire en France ?
L’association Afrique Avenir s’est emparée de ce sujet car elle a été interpelée par les usagers et usagères qu’elle rencontre, qui ont des souhaits de parentalité mais se heurtent à la législation ou à des médecins maltraitants.
Il est nécessaire de dire qu’aujourd’hui, en septembre 2020, l’accès même à la PMA va dépendre de nombreux critères : le statut marital, l’identité de genre, le statut administratif, l’orientation sexuelle. C’est-à-dire que les femmes célibataires, les couples de femmes, les personnes bénéficiant de l’AME (aide médicale de l’État) et les personnes sans papiers ne peuvent pas accéder à une PMA. Ces situations sont importantes à retenir ! Il est vrai que la loi ouvrant la PMA aux femmes célibataires et aux couples de femmes a été adoptée le 30 juillet 2020, mais le décret qui permet son application n’est pas encore sorti. Donc, de fait, la loi n’est pas encore effective. Par ailleurs, entre l’adoption du texte législatif et et son application, il peut y avoir de gros décalages, avec notamment des entraves sur le terrain pour décourager les personnes et retarder les prises en soin, avec par exemple des médecins qui invoquent la clause de conscience pour refuser l’accès à la PMA à certaines personnes.
Au final, on observe que la politique nataliste telle qu’elle est promue aujourd’hui en France est le reflet de la société dans laquelle on vit, les familles que l’État s’engage à aider sont hétérosexuelles, cisgenres et avec des papiers.
En ce qui concerne les femmes noires, on est plutôt face à une discrimination “de fait” : en théorie, elles peuvent légalement accéder à la PMA mais, en réalité, il leur reste beaucoup d’obstacles à franchir. Pour comprendre cet état de fait, il est utile de rappeler les étapes qui jalonnent un parcours de procréation médicalement assistée.
Pour les femmes qui peuvent recourir à la PMA en France, les premières difficultés commencent avec la batterie d’examens qu’il faut mener du côté de la femme et de l’homme après qu’ils ont réussi à convaincre le ou la gynéco de les réaliser ; car avant 35 ans, de nombreux médecins ne considèrent pas les inquiétudes des patient.e.s quant à leur infertilité (et ces dernier.ère.s perdent parfois plusieurs années à essayer et à attendre d’être pris.es au sérieux).
Après avoir réalisé tous ces tests visant à évaluer l’état de l’utérus, du fonctionnement des ovaires, du sperme, des ovocytes et de la glaire cervicale, les patient.e.s sont orienté.e.s vers un CECOS (Centres d’Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme humains) pour recourir à une procréation médicalement assistée. Des consultations de génétique et psychologique sont alors proposées. Si le couple a besoin de recourir à un don d’ovocyte, la filiation avec don de gamètes nécessite également de monter un dossier auprès d’un.e notaire. Ces étapes sont de véritables épreuves, d’un point de vue personnel mais aussi pratique ! Par exemple, de nombreux.ses notaires ne savent pas que cette compétence leur a été transférée et certain.e.s pratiquent des prix exorbitants malgré une loi qui encadre leurs tarifs. Tout ce processus est coûteux en temps et en énergie et peut prendre plusieurs années.
Une fois complet, le dossier est déposé sur liste d’attente, et c’est généralement à ce moment que les familles noires ou asiatiques apprennent qu’il y a une pénurie de gamètes (et tout particulièrement d’ovocytes) pour les personnes noires et asiatiques beaucoup plus prononcée que pour d’autres personnes. On attend en général deux ans pour recevoir des ovocytes d’une personne dite caucasienne, contre sept ans en moyenne pour une personne noire. Dans les zones les plus rurales, les responsables des CECOS sont directs et disent simplement : “On n’a jamais vu une femme noire passer la porte de l’établissement et nous n’avons pas de solution à proposer aux couples demandeurs.”
La situation est alors très complexe pour ces couples, car ils ont deux options : abandonner le projet de PMA ou recevoir un ovocyte d’une personne caucasienne. Encore faut-il que les médecins l’acceptent ! En effet, aujourd’hui encore, le principe d’appariement (une norme médicale qui consiste à choisir les donneur.se.s de spermatozoïdes ou d’ovocytes en fonction de la personne qui va les recevoir, afin qu’il ou elle ait le même phénotype – couleur de cheveux, taille, carnation de la peau…) est laissé à la discrétion de l’équipe médicale qui encadre le don (plus d’infos dans cet article). C’est à elle d’accepter de prendre en soin les couples et de suivre des critères, qui reposent principalement sur la ressemblance entre la personne donneuse et receveuse et parmi ceux-ci… la couleur de la peau. Il arrive que des couples noirs soient d’accord pour recevoir l’ovocyte d’une femme blanche mais que les médecins leur refusent l’accès au don d’une personne caucasienne.
Afrique Avenir soutient un amendement proposé pour que la décision soit partagée entre les couples et les médecins.
Quelle pistes et solutions envisagez-vous ?
Cette pénurie est catastrophique, et pourtant peu visible. D’une part il y a un gros tabou sur le don de gamètes pour la procréation en France, dans les communautés afro-caribéennées notamment. Les personnes concernées en parlent peu, ce que nous réalisons aussi au sein d’Afrique Avenir, où l’on ne nous a jamais interpellé.e.s directement sur cette question. Mais d’autre part, il y a également un véritable problème de communication de la part des acteurs de la santé publique ! Lorsqu’on regarde les supports d’information et de sensibilisation des CECOS pour encourager le don, par exemple, on s’aperçoit que les couples noirs ne sont pas représentés. De plus, et malgré la pénurie grave, il n’y a pas de campagnes ciblées sur la communauté noire, c’est alarmant. La seule réponse du corps médical pour expliquer le peu de gamètes disponibles est culturaliste (“Ce n’est pas dans leur culture”). Mais la culture a bon dos, quand on n’a fait aucun effort d’information adaptée.
La situation est aggravée par les stéréotypes qui persistent sur la santé sexuelle des femmes noires, qui les présentent toutes comme “faisant énormément d’enfants”. Ces clichés sont répandus dans le personnel médical et peuvent aussi être intériorisés par les communautés africaines. Certaines femmes nous ont rapporté des propos racistes de la part des CECOS du type “les femmes noires font déjà assez d’enfants, on ne va pas en plus vous inclure dans le parcours PMA.” Or il y a des femmes noires qui n’arrivent pas à avoir d’enfants, notamment à cause de fibromes utérins qui sont sous-diagnostiqués par le corps médical et peuvent freiner le traitement et l’accès au parcours de PMA.
Nous pensons qu’il faut former le personnel soignant à accueillir et accompagner les personnes racisées, créer des messages de prévention et des supports qui reflètent la société dans sa globalité, qui incluent les femmes noires infertiles seules, en couple hétérosexuel ou en couple lesbien.
Les associations qui œuvrent dans le domaine de la santé communautaire comme la nôtre doivent avoir des moyens pour réaliser des campagnes nationales ciblées pour certaines communautés comme ça a été fait pour le VIH/sida. Par ailleurs nous avons besoin de mieux documenter et caractériser les profils et les parcours des personnes pour répondre aux questions de santé publique, ce qui est rendu complexe par l’interdiction des statistiques dites “ethniques”. Afrique Avenir a à cœur de travailler avec les personnes sur le terrain et à partir de leurs expériences individuelles pour construire un plaidoyer collectif et des supports de communication adaptés et cohérents. Impliquer différents acteurs : des mouvements et organisations afro-féministes, des influenceurs et des influenceuses noires, des journalistes. Notre message doit toucher un maximum de personnes.
Entretien mené par Ketsia et Johanna