La lactation induite : Pauline

Pauline allaitant sa fille
Pauline et sa fille

L’allaitement fait souvent l’objet de conversations vives sur les intérêts ou contraintes qu’il procure mais nos connaissances sur le sujet sont néanmoins parcellaires. Une information toute simple permet pourtant d’ouvrir d’autres imaginaires et perspectives : l’allaitement n’est pas réservé aux femmes ni aux personnes qui viennent d’accoucher !
Pour évoquer pour la première fois sur Les Flux l’allaitement induit, nous vous proposons un entretien avec Pauline, qui vient d’avoir un bébé avec sa compagne, son deuxième enfant. Elle a parlé avec beaucoup de joie de son allaitement sur Instagram (suivez-là !) et a accepté immédiatement de raconter leur histoire pour la newsletter. J’espère que ce témoignage vous enthousiasmera autant que nous, et nous continuerons à explorer ce sujet dans les prochains mois.

Comment en êtes-vous arrivées à envisager que tu puisses allaiter ce bébé ? Vous saviez que c’était possible avant ? Aviez-vous rencontré des personnes qui l’avaient fait ? Lu des témoignages ?

Quand ma compagne est tombée enceinte, une amie médecin généraliste m’a parlé de la lactation induite. J’ai lu pas mal de témoignages qu’on peut trouver sur Internet, notamment de femmes québécoises, et de femmes adoptantes. Je n’ai pas réussi à entrer en contact avec des personnes qui l’avaient fait. Nous voulions tenter un co-allaitement. Mais ma compagne ayant subi un cancer du sein et les traitements associés (chimiothérapie puis radiothérapie), elle n’a finalement pas pu mener à bien son projet d’allaitement. Je me suis retrouvée à allaiter notre bébé à 100%. Ce n’était pas prévu et, pour être honnête, je ne pensais pas que ça serait possible ! 

Comment avez-vous fait pour trouver des infos, des conseils ? 

J’ai suivi aveuglément les conseils de mon amie médecin parce que l’information sur le sujet, en France, est rare et même quasi inexistante. Je n’en avais jamais entendu parler et je n’ai rencontré, par la suite, presque personne qui connaissait le phénomène. 

Avez-vous été accompagnées par du personnel soignant ? Comment votre projet a-t-il été reçu par le personnel médical ?

Mon amie médecin m’a donc informée du protocole à suivre, m’a expliqué comment les choses se passaient dans mon corps, et je me suis lancée ! Pendant la grossesse, nous avons été suivies par un sage-femme libéral qui s’est montré très enthousiaste et encourageant quand on lui a parlé de notre projet. Après la naissance, à la maternité, aucune sage-femme ni aucune puéricultrice n’avait jamais entendu parler de la lactation induite, nous sommes passées pour de véritables OVNI, on a eu plusieurs visites dans notre chambre de « bonjour, c’est vous qui… ? » avec des demandes d’explications. C’était toujours très bienveillant, certaines étaient émerveillées et regrettaient de ne pas être au courant. 

En quoi a consisté le protocole que tu as suivi ? J’imagine que c’était contraignant, peux-tu détailler les éventuels effets sur ton corps, ton moral ? Est-ce que le tire-lait a été douloureux au début ?

Le protocole consiste en la prise d’une pilule contraceptive, pour « duper » le cerveau et lui laisser croire que le corps entame une grossesse. Puis la prise d’un comprimé anti-nauséeux, qui, pris à haute dose, permet la hausse de la prolactine, hormone qui intervient dans la lactation. Enfin, et c’est la partie la plus importante, il s’agit de stimuler, dès le 7ème mois de grossesse, au tire-lait, à raison de 15 minutes toutes les trois heures. 

C’est assez contraignant, et il faut surtout avoir… du temps ! Il se trouve que j’en avais et que j’étais très motivée. Le tire-lait a été douloureux les 15 premiers jours, je dirais, mais rien d’insurmontable. Il faut surtout s’accrocher psychologiquement, car, au début… il ne se passe rien. Mais quelle joie quand arrive le colostrum, puis les premières gouttes de lait ! À la fin, avant la naissance, je remplissais des biberons entiers, ce qui m’a permis de congeler pas mal de lait, et aujourd’hui, je suis bien contente d’avoir ce stock à disposition. 

Avez-vous rencontré des difficultés pour mettre en place cet allaitement à l’arrivée de votre bébé ?

Quand notre fille est née, il était évident pour nous deux qu’il fallait qu’elle tête d’abord ma compagne, qui a porté le bébé et qui souhaitait allaiter. Pendant plusieurs jours, elle a donc été mise uniquement à ses seins, dans l’attente de sa montée de lait. Lorsque nous avons finalement compris que sa montée de lait ne se ferait pas, alors j’ai mis ma fille au sein, et ça a fonctionné tout de suite ! J’ai été conseillée par les sage-femmes à la maternité sur les positions d’allaitement, mais comme n’importe quelle maman « normale ».

Tu avais allaité brièvement ta première fille, qu’est-ce qui a été différent entre ces deux expériences ?

J’ai eu ma première fille il y a dix ans, j’étais toute jeune et je ne savais pas demander de l’aide. Mon accouchement ne s’était pas spécialement bien passé, j’ai subi un gros baby-blues, et malgré mon désir fou d’allaiter, cet allaitement a commencé dans la douleur et je n’ai pas réussi à le poursuivre sereinement. J’ai des images terribles de mon bébé hurlant rejetant mon sein et moi, désemparée, ne sachant pas quoi faire. J’avais fini par tirer mon lait pour le lui donner au biberon, chose que j’ai fait quelques semaines avant d’arrêter, découragée, car le tire-lait représentait à l’époque un véritable cauchemar pour moi… comme quoi !

Mes deux expériences n’ont donc rien à voir du tout. Ce deuxième allaitement vient réparer le premier, consoler ce deuil qu’il m’avait été très difficile de faire. C’est une vraie joie, un vrai plaisir, une chance que je ne pensais pas avoir un jour. 

Bénéficies-tu des mêmes aménagements au travail que ceux prévus traditionnellement (local dédié, temps sur les heures de travail, etc.) ?

J’ai dû me battre, à l’aide de délégués syndicaux, avec mon chef qui me refusait mon droit à tirer mon lait sur mon lieu de travail. Une fois qu’il a accepté, les aménagements sont les mêmes que pour mes collègues, oui. Je tire mon lait deux fois par jour chaque journée travaillée, à raison de 30 minutes à chaque fois. 

Quels conseils donnerais-tu aux personnes qui souhaitent allaiter un enfant qu’elles n’ont pas porté ?

Avoir vraiment, vraiment envie ! Je crois que ça se joue pour beaucoup dans la tête, donc il faut savoir pour quoi on le fait, et s’en donner les moyens. Et essayer, mais c’est très facile à dire et très difficile à faire, de ne pas culpabiliser si ça ne fonctionne pas, ou pas comme on voudrait. C’est tout de même une prouesse du corps, et il y a mille raisons qui peuvent expliquer les éventuels échecs.

Merci mille fois Pauline pour ton témoignage.


Pour alimenter nos réflexions, nous aimerions recueillir le témoignage de femmes trans ayant allaité ou nourrissant le projet d’allaiter leur enfant. N’hésitez pas à nous écrire à l’adresse suivante : contact@lesflux.fr !