Le projet de loi bioéthique a été adopté cet été par le Parlement français. Il ouvre l’Assistance Médicale à la Procréation aux couples de femmes et aux femmes dyacis* célibataires. La gestation pour autrui demeure illégale en vertu du principe de droit français de non marchandisation du corps. La loi n’est pas encore promulguée mais cette avancée (partielle) législative est le fait d’une mobilisation sans relâche de militantes féministes lesbiennes, qui ont toujours dénoncé la relégation des femmes dyacis qui n’étaient pas associées à un homme, ainsi que la constante mythification de la figure du père hétérosexuel.
Tous ces débats sur la PMA nous poussent, féministes en quête de la fin de l’asservissement du corps des femmes dyacis à des fins capitalo-patriarcales, à penser la justice reproductive dans un contexte français, au-delà du cadre cishétéropatriarcal. Dans la société française post-coloniale, il est particulièrement impossible d’occulter les enjeux de race de cette question qui tisse des familles et des communautés entières. Des siècles de représentations négrophobes et de violence symbolique s’abattent sur les familles et les enfants noir.e.s.
Pour la Newsletter de ma chatte, deux militantes qui informent, sensibilisent et luttent pour l’empowerement des femmes afrodescendantes sur leur santé reproductive et sexuelle nous ont présenté leur travail, qui fait sororité. Elles produisent des ressources qui déstigmatisent les femmes noires infertiles, en aidant les familles afrodescendantes à se penser et s’inscrire dans un parcours d’accès à la PMA.
Entretien avec Patricia N’depo pour Afrique Avenir
Entretien avec Sandrine Ngatchou d’Ovocytemoi
La famille nucléaire hétérosexuelle est une institution du capitalisme. Elle est un lieu où l’on internalise la subordination, comportement au service d’une société tournée vers la création effrénée de richesses car les rapports sociaux y sont hiérarchisés : entre patrons et salarié.e.s, forces de l’ordre et population, soignant.e.s et patient.e.s, entre autres. Cette forme familiale donne l’illusion que le soin communautaire* n’est pas important, mais surtout que l’on doit peu de choses aux personnes hors de la sphère familiale. Or cette famille nucléaire est une fiction capitaliste, car dans les faits les enfants sont à la charge des femmes de leur entourage, et au quotidien, les familles ne sont pas nécessairement organisées autour du duo que formeraient le père et la mère. Dans le témoignage de Sandrine Ngatchou,qui dénonce l’impossibilité d’inclure la personne donneuse d’ovocytes dans la vie de l’enfant à naître, on voit qu’il y a des lois de l’État qui empêchent ces formes de familles non nucléaires d’exister.
Pour ce qui est des familles noires, les représentations racistes autour de leur fécondité, dépeinte comme parasitaire, les dissuadent de recourir à ce dispositif de santé publique. Cela est à lier aux problématiques discutées dans notre précédente newsletter sur la misogynoir de la gynécologie. Le parcours de soin gynécologique de base accuse d’une générale mauvaise prise en charge des femmes noires : syndrome méditerranéen, manque de connaissances de la recherche médicale en matière de fibrome utérin, exotisme, pratique accrue de césariennes, etc. Quand tous ces obstacles sur le parcours de soins s’accumulent, il est évident que notre accès à la technologie du don de gamètes sera plus long et plein d’errances.
C’est ainsi que pour nous, la justice reproductive est une praxis* féministe qui consiste, via une lecture classe/genre/race, à une remise en question des dynamiques sociales de pouvoir. Et par une lecture intersectionnelle des oppressions et violences, à soutenir les luttes des populations et groupes ayant une forme de parentalité exclue du projet cishétérosexiste blantriarcal sous-tendu par le capitalisme.
La justice reproductive est aussi la dénonciation – encore via le prisme classe/genre/race – des idéaux natalistes qui dissuadent les femmes dyacis dont la grossesse est valorisée de bénéficier d’IVG.
*dyacis : contraction de “dyadique” et de “cisgenre”/”cissexuel”. Une personne dyadique a un appareil génital conforme aux normes médicales sur le “sexe masculin” et le “sexe féminin”. Une personne cisgenre conçoit son genre dans le dyptique femme/homme et n’a aucune difficulté (administrative, religieuse, financière…) à être reconnue comme telle par la société.
*soin ou santé communautaire : création d’espaces, de moments et de dynamiques locales, internationalistes ou numériques où l’on échange des bonnes pratiques liées à la santé, où l’on apprend des gestes et soins basiques, où l’on a un accès gratuit à des outils de réduction des risques en matières sexuelles, de consommation de stupéfiants par exemple.
*praxis : actions diverses menées afin de transformer des rapports sociaux.
Cette newsletter a été produite et rédigée par Johanna Soraya et Ketsia Mutombo
(à suivre sur Twitter et Instagram) avec le soutien des Flux.