Fausse couche et faux-semblants : la prise en compte des patientes faisant une fausse couche tardive dans le système médical

Le 31 juillet 2019, j’ai perdu mon bébé. J’ai fait ce qu’on appelle une fausse couche tardive, soit comprise entre 14 et 22 semaines d’aménorrhée. Moi, j’ai perdu mon enfant au début de la 15e semaine. 

Deux jours après, ma médecin généraliste, qui est aussi ma gynécologue, m’a dit : « En France, on n’a aucune idée de comment s’occuper des fausses couches ». Un mois et demi après, je vis toujours des complications et nul.le professionnel.le de santé ne m’a encore dit ce qui se passait dans mon corps, parce qu’aucun.e n’a mis toutes les pièces du puzzle ensemble. Si aucun.e n’a mis toutes les pièces du puzzle ensemble, c’est parce que le système médical et les soignant.e.s n’ont pas envisagé les suites d’une fausse couche, mal considérée, comme un ensemble qui mérite un protocole de soins.

À ce stade, ma fausse couche est inexplicable, paraît-il. J’ai un enfant vivant né à terme (et même après) sans aucune complication pendant la grossesse. Mon deuxième premier trimestre s’est passé sans alerte particulière, à part une immense fatigue nécessitant un arrêt de travail pendant la canicule. Le 29 juillet, j’ai commencé à avoir quelques pertes de sang et des douleurs depuis la veille au soir, comme une ceinture de lourdeur, accentuée par des difficultés à la miction. Aux urgences le jour même, puis le lendemain car la douleur augmentait, on m’a dit que mon col était long et fermé et que le bébé bougeait bien. Le lendemain, j’ai dit que je sentais par-dessus la douleur comme des vagues de contractions. Mes analyses urinaires ont été perdues deux fois de suite. À 3 h 45 mercredi 31 juillet, après une heure trente de sommeil et réveillée en pleurs par la douleur, sans personne d’autre que mon conjoint dans le box des urgences où je me tordais de douleur depuis une heure trente, j’ai perdu les eaux, debout dans mon jean. J’ai tout de suite su que c’était fini. En une demi-heure, il y avait trois personnes autour de moi, pendant des contractions violentes, pendant que j’accouchais d’un tout petit fœtus. Comme le placenta ne venait pas, j’ai été envoyée au bloc pour une aspiration. Quelques heures plus tard, à midi, après une prise de sang dont je n’ai jamais réussi à savoir ce qu’elle venait vérifier, on me disait que je pouvais rentrer chez moi, que tout allait bien, que j’allais saigner et qu’il ne fallait pas me baigner pendant quinze jours. Je suis repartie avec un arrêt de travail de trois jours, incluant le mercredi. Ensuite, les urgences m’ont rappelée parce qu’ils s’étaient trompé de papier pour autoriser l’autopsie, il nous fallait revenir.

C’est ma médecin qui, m’ayant en pleurs au téléphone deux jours après, m’a donné un rendez-vous. La veille, un généraliste lambda au bas de mon immeuble avait refusé de me faire une prolongation d’arrêt de travail. C’est elle qui m’a expliqué que les fausses couches étaient extrêmement fréquentes, qu’en soit cela ne présageait de rien. La fausse couche, c’est une grossesse sur quatre une fois la grossesse confirmée. Ce n’est ni un tabou, ni une honte. La plupart du temps, il s’agit d’une anomalie génétique du fœtus. À cette occasion, j’ai appris qu’au Canada, lorsqu’on perd un enfant avant vingt semaines de grossesse, il existe un droit, certes tout relatif puisqu’il n’est accompagné ni de rémunération ni de prestation, à un « congé maternité spécial » de trois semaines. Toutefois, l’existence même d’un délai pendant lequel un.e salarié.e est protégé.e est un début de reconnaissance des conséquences physiques et psychologiques d’une fausse couche.

Pour autant, c’est seule que j’ai découvert qu’on pouvait avoir une montée de lait. Lorsque j’ai dit à la médecin que ça avait été dur de vivre ça seule, sans savoir, elle m’a répondu qu’elle ne savait même pas que cela était possible. Moi, c’est en tapant « fausse-couche tardive 15 semaines montée de lait » que j’ai trouvé des témoignages. Beaucoup. C’était doctissimo et magicmaman et reddit et c’était les seules femmes qui disaient aussi que cela arrivait. J’étais en petite montagne et je ne trouvais pas de sauge. J’ai bouffé du persil à ne plus en pouvoir. Mais la médecin a dit ensuite : « Vous savez le médicament a beaucoup d’effet secondaires ». Il se trouve que je connais un peu le médicament en question, et que je n’en aurais voulu pour rien au monde. On forme les médecins à croire, de manière inébranlable, que ce que veulent vraiment les patient.e.s, ce sont des médicaments. Ce qu’on veut, c’est de l’information. La plus complète possible, la plus compréhensible possible, et la plus transparente possible. Et ensuite, on veut faire des choix éclairés. Des choix qui impliquent de bouffer du persil cru par botte en trouvant ça immonde, mais sans se demander si on vole l’ingrédient du taboulé pour vingt personnes, parce qu’on ne savait pas au moment des courses.

Un mois après ma fausse couche, je me suis mise à perdre du sang en sortant de la douche. Le beige du tapis se noyait sous le rouge que la serviette que j’avais placée dans ma culotte, ces serviettes qu’il me restait de la suite de couches, épaisses et inconfortables, était quasiment détrempée. C’était le robinet ouvert, allongée cela ne changeait pas grand-chose. Puis des caillots, massifs. On m’a envoyé une ambulance et quelques heures plus tard, on me disait que je faisais une nouvelle fausse couche, une masse dans mon utérus demeurant. L’hémorragie s’est tarie d’elle-même après une nuit sur un brancard, derrière un rideau en plastique anis une femme très enceinte qui a été montée en chambre au bout de deux heures, dans mes mains des serviettes d’hôpital à changer régulièrement. Une semaine après, une autre médecin me disait qu’elle ne pensait pas qu’il s’agissait d’une nouvelle fausse couche. Une semaine encore après, une échographe m’annonçait qu’il restait une masse importante dans mon utérus. Sept semaines après ma fausse couche, on m’a dit que dans trois semaines, je subirais une hystéroscopie (l’introduction d’une toute petite caméra dans l’utérus pour vérifier s’il y a des anomalies et quels types d’anomalie). Deux mois, c’est le délai qu’il m’a fallu pour que quelqu’un commence à assembler toutes les pièces du puzzle et prenne le temps de m’expliquer quelles étaient les hypothèses. Deux mois à vivre dans son propre sang, l’inquiétude, l’impossibilité de faire des projets et la course aux arrêts de travail. 

Nos fausses couches ne sont pas des échecs. Elles sont des événements du corps et de la grossesse, fréquentes, pas honteuses, tristes ou pas selon nos expériences, souvent nécessitant un vrai travail de deuil, mais elles ne sont pas tabou. J’ai accouché pour la deuxième fois d’un tout petit fœtus et c’était mon bébé. Aujourd’hui il n’y a aucune explication pour ce que j’ai vécu et ce que je vis, mais je m’épuise à en avoir. Et je pense à toutes ces femmes de l’âge de nos mères, à toutes ces amies, qui m’ont dit moi aussi. Je pense à Micheline, « j’ai perdu une fille avant d’avoir ma dernière », je pense à Vera, « je sais bien ce que c’est, je suis là », je pense à Alizée, « je connais ce deuil », je pense à Désirée, « des bébés oh j’en ai perdu cinq avant mon fils puis quatre après ». Nous méritons des réponses, et si notre sororité nous sauve il est temps de cesser les faux-semblants. Voilà trop d’années que nos fausses couches sont considérées comme des accidents par le corps médical, pas dignes d’autre réponse que vous en ferez un autre, dans l’interstice du seul temps qui est valorisé et traité par les médecins, celui de la reproduction. 

D’autres réflexions et témoignages sur le blog de Marie-Hélène Lahaye Marie accouche là

Après une première grossesse poursuivie jusqu’à terme, Bérénice est à nouveau tombée enceinte et a fait une fausse couche à la fin du premier trimestre. Elle parle de ces deux premiers trimestres dans un petit zine que nous avons publié ici.