Je suis Sandrine Ngatchou, Noire et infertile. J’ai créé la chaîne Youtube et la page Facebook OvocyteMoi parce que je cherchais désespérément une femme infertile noire qui ait parlé de la souffrance que vivent les femmes noires à travers leur désir d’enfant. Mon infertilité est liée à trois causes : une insuffisance ovarienne, un utérus avec de multiples fibromes, et deux trompes bouchées à cause de la tuberculose génitale.
J’ai eu recours à la FIV avec don d’ovocytes, dans le cadre de laquelle j’avais besoin qu’une femme me donne ses ovocytes afin qu’ils soient fécondés avec le spermatozoïde de mon conjoint. En France, il y a très peu de don d’ovocytes de la part de femmes noires. Quand une femme noire se trouve dans ma situation, elle doit attendre en moyenne huit ans pour recevoir un don. Face à cette pénurie, j’ai pris mon bâton de pèlerin et j’ai fait les distributions des brochures du don d’ovocytes dans différentes villes de France (Paris, Marseille, Saint-Étienne, Strasbourg…). Les vidéos de ces distributions se trouvent sur ma chaîne YouTube. J’ai fait des tentatives de FIV à l’étranger, au Portugal et en Ukraine : quatre tentatives pour un total de 15 000 €.
Dans ce parcours de PMA avec don d’ovocytes, je me suis posé la question des conditions du don, de la situation des donneuses et de leur exploitation par un marché de la fertilité vorace. Et j’ai voulu faire de cette PMA un acte militant. Je me suis confrontée à des limitations juridiques : par exemple, une FIV avec don d’ovocytes doit être anonyme pour pouvoir disposer du remboursement par la sécurité sociale, bien que la fécondation soit faite dans un pays où il y a l’anonymat et le non anonymat pour les donneuses. Cette réflexion s’est poursuivie au travers de mes lectures sur la justice reproductive (1).
Dans ma démarche, je voulais que la donneuse fasse partie de la vie de cet enfant, qu’il existe un échange entre la donneuse et moi, sur nos rôles à l’égard de cet enfant et sur la façon dont nous voulions construire notre relation. Je déteste le terme “l’anonymat du don”. Ne pas connaître la génitrice de mon enfant sonnait comme une injustice pour moi. Est-ce que ces droits ont été respectés ? Que vais-je raconter à cet enfant sur son existence ? Pour moi, l’histoire du don de la donneuse fait aussi partie de son histoire. Par rapport à cette envie d’intégrer la donneuse, je me suis retrouvée face à un autre concept qui faisait sens pour moi, le « othermothering« , autrement dit la “communauté” de maternité (2). Patricia Collins explique que le « othermothering » « consiste en une série de relations constamment renégociées que les femmes afro-américaines entretiennent entre elles, avec les enfants, avec la communauté afro-américaine plus large, et avec soi-même » (Patricia Hill Collins, Black Feminist Thought, 1990.
Je me suis posé cette question : “Est-ce juste pour moi d’avoir un enfant dans ces conditions ?”. Les mamans solo rencontrent beaucoup de difficultés sociales, tout comme les femmes en couple hétérosexuel, la charge mentale et les besoins émotionnels des enfants étant portés par les femmes. Avec les engagements financiers que j’ai au Cameroun (mes parents et mes frères et sœurs y sont encore), puis-je disposer de toutes les ressources pour cet enfant en étant son seul parent, ou même en étant en couple, quand on connaît l’inutilité des hommes quand il s’agit d’investir les besoins émotionnels de leurs semblables en matière d’humanité ? Mais aussi, dans quelles conditions la donneuse a-t-elle fait son don ? Ses droits ont-ils été respectés ?
Ce parcours a été intéressant, vivifiant, parce que j’ai abordé mes souffrances sous un angle féministe, parce que je me suis posé de nombreuses questions, notamment celle de mon désir de maternité. Après une thérapie, j’ai finalement compris que je n’avais pas de désir d’enfant. Ce cheminement m’a permis de croiser les livres et articles de beaux auteurs et de belles autrices et a changé mon regard sur la parentalité.
J’ai toujours eu envie de faire une vidéo avec les femmes noires qui ont fait un don d’ovocytes afin de nous ouvrir le champ des perspectives, et favoriser l’ouverture de la parole sur le sujet de la fertilité au sein de la communauté noire. Je suis contente car j’ai pu le réaliser cette année : quatre donneuses se sont prêtées au jeu des questions-réponses. Dire qu’il y a deux ans, pour trouver une donneuse noire qui témoignerait sur France24, c’était la croix et la bannière ! Il manque encore une vidéo sur les femmes infertiles.
Je vous laisse écouter la dernière vidéo des donneuses d’ovocytes sur la page Facebook et la chaîne YouTube OvocyteMoi pour poursuivre la réflexion.
Références et ressources pour aller plus loin :
(1) La justice reproductive est le résultat de l’amalgame entre “justice sociale” et “droits reproductifs”.
“La justice reproductive est une approche positive qui relie la sexualité, la santé et les droits humains aux mouvements pour la justice sociale en plaçant l’avortement et les enjeux de santé reproductive dans le contexte plus large du bien-être et de la santé des femmes, des familles et des communautés. Elle intègre naturellement les droits humains individuels et collectifs, droits qui sont particulièrement importants pour les communautés marginalisées. Nous croyons que la capacité d’une femme à déterminer sa vie reproductive est directement liée aux conditions dans lesquelles évolue sa communauté et n’est pas uniquement une question de choix personnel et d’accessibilité. Si une femme fait partie d’une communauté dont les droits humains ne sont pas respectés, par la présence de dangers environnementaux ou le manque d’accès à des soins de santé de qualité par exemple, ses décisions par rapport à son corps ne pourront être prises sur des bases strictement individuelles. La justice reproductive aborde les enjeux du contrôle des populations, de l’autodétermination des corps, des droits des immigrant.e.s, de la justice économique et environnementale, de la souveraineté, du militarisme et des injustices criminelles parce que ces oppressions dirigées envers un groupe ou une communauté limitent les droits humains individuels.” (Loretta J. Ross)
(2) La “communauté de maternité” est liée au modèle de la famille fictive, à l’idée de “l’autre mère” telle que définie par Patricia Hill Collins, et à la description de Cheryl Townsend Gilkes de la maternité comme forme d’activisme politique communautaire.
“La maternité par d’autres personnes ou la communauté de maternité est définie comme l’acceptation de la responsabilité d’un enfant qui n’est pas le sien au sens génétique dans le cadre d’un arrangement qui peut ou non être formel. L’altérité est une composante fondamentale du point de vue féministe noir. Cette édition enrichit les conceptions de l’expérience du maternage noir, souligne la diversité du maternage Africana et met en lumière des domaines rarement étudiés. Dans “The Lakou System: A Cultural, Ecological Analysis of Mothering in Rural Haiti”, les auteurs explorent la réponse culturelle aux changements environnementaux qui ont fait passer les mères haïtiennes du maternage multiple, où plusieurs femmes dans le lakou se partageaient les soins et la supervision des jeunes enfants, au maternage individuel, où les mères célibataires sont désormais les seules à s’occuper des enfants.” (Deidre Hill Butler, “Africana Mothering: Shifting Roles and Emerging Contradictions”)
Autres pistes de réflexions :
Sur le polymaternalisme : Sophie Lewis, “International Solidarity in reproductive justice: surrogacy and gender-inclusive polymaternalism”.
Sur la pluriparentalité : Cathy Herbrand, “L’impasse de la pluriparentalité au niveau légal : analyse du projet de « parenté sociale » en Belgique”.
Entretien mené par Ketsia et Johanna